You are currently viewing Déclaration de politique générale du PM Ousmane Sonko : une analyse de l’exercice

Déclaration de politique générale du PM Ousmane Sonko : une analyse de l’exercice

La Rédaction du Collectif des Universitaires pour la Démocratie (CUD) a recueilli et transcrit les propos d’experts qui analysent l’exercice de déclaration de politique générale (DPG) du Premier ministre Ousmane Sonko présentée à l’Assemblée nationale ce 27 décembre. Veuillez trouver ci-dessous les interviews de Mamadou Lamine Sarr, Maître de conférences de Science politique à l’UNCHK (ex. UVS), et de Maurice Soudieck Dione, Professeur de Science politique à l’UGB.

Maurice Soudieck Dione
« […] La DPG du PM est très intéressante, des idées fort pertinentes ont été développées. Je pense que c’est une rupture à plusieurs égards, mais la rupture la plus essentielle qu’on a pu noter tient au fait que la DPG s’inscrit un peu dans l’optique de corriger les biais des politiques publiques qui ont existé jusque-là. En effet, depuis le Président Abdoulaye Wade, ensuite le Président Macky Sall, nous avons vu un accent particulièrement marqué sur les infrastructures. Le PM Ousmane Sonko a certes confirmé cette tendance, mais avec une orientation encore plus intéressante et plus pertinente qui est celle de la transformation des matières premières, c’est-à-dire de nos ressources brutes, qui va se faire dans une industrialisation ; il s’agit là d’un point marquant dans la DPG. À cela, il faut ajouter les huit pôles territoriaux qui vont être mis en place et ces pôles sont importants car il sera question de mettre en relation l’économie et la géographie, c’est-à-dire d’avoir une politique d’aménagement du territoire viable, fiable mais aussi pertinente au regard de la nécessité de prendre en charge les objectifs du développement économique. Cela permettra de créer de la richesse là où il y a de la pauvreté et de pouvoir fixer les populations dans les différentes zones du territoire national en leur permettant d’avoir des services publics de qualité, mais également des revenus qui leur permettent de vivre décemment chez elles.
Une autre dimension de la DPG qui mériterait également d’être relevée c’est celle qui met l’accent sur la souveraineté en relation toujours avec cette optique d’industrialisation. Cette souveraineté se décline en plusieurs facettes : alimentaire, énergétique, pharmaceutique, sociale, culturelle, etc. Dans le même sens, il a été clairement indiqué une volonté de faire en sorte que les richesses produites dans le pays puissent profiter aux Sénégalais et que les intérêts du Sénégal soient mis en avant ; ce qui n’est pas sans lien avec l’idée de l’aménagement du territoire évoqué plus haut et cela va entrainer progressivement une correction de la macrocéphalie, cette tendance à condenser toutes les infrastructures et tous les investissements sur l’axe Dakar-Thiès-Mbour, et de faire en sorte que l’intérieur du pays soit également valorisé.
L’autre aspect essentiel de cette DPG c’est également la dimension de lutte contre la corruption ou la volonté de mettre en place une administration efficace tournée vers les objectifs de développement en dissociant cette perspective où on est dans une logique purement quantitativiste qui consiste à apprécier in abstracto les dépenses générées par l’État, mais ici il faut plutôt voir quels sont, en termes de résultats concrets, les effets des politiques publiques. Cela est extrêmement important parce qu’on a eu à dépenser des centaines de milliards dans des domaines comme l’assainissement à travers, par exemple, le programme qui avait pour ambition de lutter contre les inondations, les nombreux programmes sur l’agriculture et même sur l’enseignement supérieur. Beaucoup de milliards sont engloutis dans des politiques publiques, mais à la fin on a du mal à obtenir des résultats concrets. Cette nécessité d’avoir du suivi, de l’évaluation et de voir concrètement comment les politiques publiques sont planifiées, élaborées, exécutées de façon pertinente constitue aussi une dimension essentielle de la DPG du PM.
On ajoutera aussi la dimension des valeurs – le JUB, JUBAL, JUBANTI – parce qu’on ne peut transformer le pays qu’en appliquant des valeurs susceptibles de porter le développement. Pour les gouvernants, il s’agit de mettre en avant l’éthique, la probité, l’intégrité, et pour les gouvernés, il s’agit de mettre en mouvement le civisme, le patriotisme, sachant que les biens de l’État appartiennent à tous les citoyens et que si on les détruit ou détériore, c’est notre État qui est affaibli. Chaque citoyen, chaque Sénégalais, où qu’il se trouve et quelle que soit la fonction qu’il occupe au sein de l’État, doit avoir un comportement d’un serviteur et c’est la synergie des forces qui permettra de relever les défis du développement économique, culturel et social de notre pays […]. Pour finir, on peut noter aussi une volonté de renforcer l’État de droit, les droits et libertés des citoyens, et de promouvoir un capital humain de qualité […] ».

Mamadou Lamine Sarr
« […] concernant la DPG, j’ai eu le plaisir de suivre le discours initial du PM et quelques interventions de députés. Je donnerai mon avis sur la forme et sur le fond. Sur la forme, après des mois de discussion et de polémique, enfin on a eu cette DPG qui est faite devant un parlement renouvelé où le camp présidentiel est fortement majoritaire et cela n’a fait que conforter les résultats de la dernière élection présidentielle. Aussi, l’ironie du sort a montré que c’est quelqu’un qui a été malmené, parfois brutalisé, qui est devenu PM et qui a fait la DPG. Cette histoire devrait inspirer les hommes et femmes politiques, des citoyens de manière générale ; c’est un message important à rappeler, car quelle que soit notre appartenance politique ou notre positionnement, il faut retenir que c’est le Sénégal qui a gagné. Ce sont des éléments de forme que je voulais relever dans un premier temps pour montrer qu’il y a quelques mois, cette DPG n’était pas envisageable dans notre pays.
Toujours sur la forme, mais pour amorcer mon analyse sur le fond, le discours ressemble à une continuité du discours tenu par le PASTEF depuis ses débuts que le PM a décrit en parlant de rupture. Ce discours a été plébiscité à travers les derniers scrutins, l’élection présidentielle et les élections législatives. Sur cette rupture, le fait de rappeler la nécessité pour chaque citoyen de cultiver une certaine mentalité est très intéressant. Nous sommes dans un contexte continental qui fait qu’on a besoin de renouveler certaines choses ; ce besoin de renouvellement passe naturellement par le renouvellement des esprits et j’ai trouvé très intéressant de souligner cet aspect. Il s’agit d’une innovation de la DPG du PM Sonko. Quand on s’amuse à revoir les DPG précédentes, il y a essentiellement du classique : l’État, l’administration, servir le peuple, etc. Dans la dernière DPG – on verra si cela sera suivi de faits – il est intéressant de remarquer une volonté de changer l’état d’esprit et cela fait écho à la ligne politique de PASTEF.
Il y a d’autres points de rupture … je pense à la gouvernance, à la gestion des deniers publics, aux questions démocratiques, etc. Il s’agit de promesses qu’il faudra suivre pour s’assurer de leur concrétisation. Quelque chose qui m’a particulièrement intéressé aussi, c’est cette notion de bonne gouvernance et cette notion de justice, que cela soit la justice judiciaire ou la justice sociale car on sort d’une période très difficile. Les Sénégalais attendent le nouveau régime sur toutes ces questions cruciales qui devraient être prises en charge en priorité pour asseoir un État de droit ; il y a des choses qui doivent être clarifiées, il y a des débats qu’on doit tenir entre nous, il y a des violences qui ont eu lieu et les responsabilités devraient être situées. C’était une bonne chose d’avoir les assises de la justice après la présidentielle, et les conclusions ont été reprises dans la DPG ; on verra comment tout cela va être mis en œuvre, et encore une fois ce sera intéressant de suivre cela.
Autre chose qui est intéressant à relever dans la DPG, ce sont les échanges entre le PM et les députés, ce qui est plutôt classique. En revanche, il a été intéressant de voir le nouveau rapport de forces au sein de l’Assemblée nationale avec une large majorité face à une très faible minorité. On ne peut pas manquer de rappeler qu’une partie de la nouvelle opposition faisait partie de la majorité parlementaire dans la dernière législature. Tout cela est un clin d’œil de l’histoire qui doit être retenu par les politiques.
Concernant le budget, c’est là où on attendait le Gouvernement. Certes le budget a augmenté de manière générale, mais si on prend les secteurs comme l’enseignement supérieur et la santé, par exemple, l’on peut se demander si les hausses sont à la hauteur des défis qui nous attendent. C’est là où le nouveau régime est attendu et je pense que les femmes et les hommes qui le tiennent en sont conscients. Pour ce qui concerne notre secteur – l’enseignement supérieur – il y a énormément de difficultés qui se présentent. On verra les résultats des actions qui seront menées, mais on peut constater d’ores et déjà que ce qui est prévu pour l’instant ne paraît pas à même de répondre aux nombreuses attentes de l’université sénégalaise. Fondamentalement, je pense qu’il y aura des moments très difficiles pour les universités.
Un dernier point que je voudrais évoquer, c’est l’absence du PM lors de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale au sujet du projet de loi de finances initiale. Nos amis juristes nous diront, mais on peut considérer qu’aucun texte ne lui impose d’être présent même si par courtoisie républicaine cela aurait été apprécié.
En résumer, on a eu globalement une DPG classique dans les faits, mais il y a des points très intéressants comme le changement de perception, les nombreuses propositions, la structuration du discours autour de la rupture. Il y a eu des points de ressemblance avec les régimes précédents, mais il y aussi quelques particularités qui s’expliquent par le contexte de l’accession de PASTEF au pouvoir, et par les personnalités des femmes et des hommes du nouveau régime. Le plus important commence maintenant. Une vision claire a été dégagée pour un long terme, il faudrait suivre la mise en œuvre de tout cela. Une question m’interpelle personnellement et c’est celle de savoir si on va poursuivre avec le même gouvernement ou si on remaniement est envisageable. En dehors de la DPG, d’autres sujets d’actualité mériteraient également notre attention : la Haute Cour de Justice, la loi d’amnistie. Il s’agit des questions cruciales pour notre démocratie et notre État de droit qu’il faudrait suivre […] ».
Propos recueillis et transcrits par la Rédaction du CUD

Laisser un commentaire