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La Haute Cour de Justice du Sénégal : l’histoire

Par Dr Oumar SOW, enseignant-chercheur en droit public à la FSJP de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et expert du CUD

La Haute Cour de justice jouit d’une présence permanente dans l’histoire constitutionnelle du Sénégal. La juridiction est plus ancienne que l’institution présidentielle. C’est la Constitution du 24 janvier 1959 (Constitution du Sénégal dans le cadre de la fédération du Mali) qui la consacre en ses articles 25 à 28. À sa création, elle avait compétence à juger les ministres en raison des crimes et délits commis dans l’exercice des fonctions ministérielles. Son existence n’est pas remise en cause depuis lors : articles 62 à 65 de la Constitution du 26 août 1960, articles 85 à 87 de la Constitution du 7 mars 1963 et les articles 99 à 101 de la Constitution du 22 janvier 2001. Mieux, les compétences de la Haute Cour sont sans équivoques : elle juge le Président de la République en cas de haute trahison, les membres du Gouvernement (le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’État) pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions et les membres du Gouvernement et leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’État.
L’organisation et la procédure suivie devant la Haute Cour de justice sont fixées initialement par loi organique n° 61-65 du 22 décembre 1961. Cette dernière est modifiée par deux autres lois organiques (loi organique n° 63-01 du 4 janvier 1963 et la loi organique n° 63-03 du 4 janvier 1963) avant son abrogation par la loi organique n° 98-46 du 10 octobre 1998 sur l’organisation de la Haute Cour de justice. L’avènement de la Constitution du 22 janvier 2001 et le retour au monocamérisme (parlement composé d’une chambre) imposent le vote d’une nouvelle organique : la loi organique n° 2002-10 du 22 février 2002 sur la Haute Cour de justice. Cette dernière loi est toujours en vigueur (elle est modifiée par la loi organique n° 2008-39 du 20 août 2008 et celle n° 2012-26 du 28 décembre 2012). L’histoire de la Haute Cour est marquée par deux tendances qui sont brièvement exposées ci-dessous.

Une organisation à la recherche de la garantie de l’impartialité

L’évolution de l’organisation de la Haute Cour de justice relève de la volonté du constituant et de la configuration monocamérale ou bicamérale du parlement sénégalais. Hormis les périodes de bicamérisme (en l’occurrence les périodes de 1998 à 2001 et de 2007 à 2012), la forme monocamérale du parlement est consolidée par le constituant sénégalais. Il est difficile de couvrir la nature politique de la Haute Cour de justice. Même si la saisine de cette dernière est la manifestation d’un jugement d’opportunité politique, la volonté de préserver les droits des prévenus est perceptible par l’implication des hautes personnalités du pouvoir judiciaire.
En prélude au jugement de sa première affaire, l’organisation de la Haute Cour a connu une réforme pour anticiper les critiques d’un défaut de neutralité de ses membres. Une fois la mise en accusation votée par les députés, il semble que le jugement devant la Haute Cour échappe péniblement à la qualification d’une sentence déjà programmée. L’évolution de la Cour a voulu voiler cet état de fait.
À sa création, la Haute Cour de justice était exclusivement composée de membres élus par l’Assemblée nationale. Les Présidents titulaire et suppléant étaient des magistrats des Cours et Tribunaux. Ils étaient élus par l’Assemblée nationale sur présentation du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Cette désignation avait lieu au scrutin secret et à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée. Outre ses Présidents titulaire et suppléant, elle était composée de six juges titulaires et de six juges suppléants.
Par ailleurs, pour instruire les affaires, l’option était faite pour la mise en place d’une Commission d’instruction dont la composition est laissée à l’appréciation souveraine de l’Assemblée nationale qui pouvait choisir parmi ses membres ou en dehors de l’institution : un Président, quatre Membres titulaires et deux suppléants. Ceux-ci sont désignés au début de chaque année par l’Assemblée nationale au scrutin secret et à la majorité absolue. La même règle était prévue pour la désignation du ministère public.
Pendant les périodes de bicamérisme, la Haute Cour de justice a admis la présence des sénateurs comme juges. C’est le cas, par exemple entre 2008 et 2012, période au cours de laquelle les huit juges titulaires étaient composés de 4 députés et 4 sénateurs. Les modalités étaient les mêmes pour les juges suppléants.
Sous l’empire des lois organiques n° 98-46 du 10 octobre 1998 et n° 2002-10 du 22 février 2002 sur la Haute Cour de justice, les règles sont sensiblement transformées. Pour illustration, à l’heure actuelle, il est clairement précisé que la Haute Cour est présidée par le Premier Président de la Cour suprême. De plus, le Président de la Chambre pénale de la Cour suprême assure les fonctions de Président suppléant. Du reste, l’instruction des affaires est exclusivement confiée à des magistrats professionnels issus de la Cour d’Appel de Dakar : le premier président de la Cour d’Appel de Dakar préside la Commission d’instruction près la Haute Cour de justice et des magistrats de la même Cour sont désignés comme membres titulaires et suppléants. Enfin, malgré ces mutations, une règle reste constante : l’Assemblée nationale demeure la seule institution compétente pour déclencher des poursuites devant la Haute Cour de justice. Loin des mutations notées dans l’organisation de cette dernière, son histoire ressort une inactivité, symbole de la crise de la responsabilité des gouvernants sénégalais.

Un sommeil troublé par séquences

L’institution est peu active et cela s’explique par sa nature exceptionnelle et la qualité des autorités déférées devant elle. Historiquement, la saisine de la Haute Cour de justice traduit une crise au sommet de l’État, d’où le retentissement de son action. La première affaire dont est saisie la Haute Cour de justice concerne l’accusation contre l’ancien Président du Conseil Mamadou DIA et quatre de ses ministres (Valdiodio NDIAYE, Joseph MBAYE, Ibrahima SAR et Alioune TALL). S’opposant au vote d’une motion de censure, le Chef du Gouvernement évacue la salle de l’Assemblée nationale et empêche son accès par les gendarmes le 17 décembre 1962. Il est arrêté à la suite de ces évènements. La Commission d’instruction près la Haute Cour a rendu une ordonnance de renvoi devant la Cour (présidé à l’audience par le magistrat Ousmane GOUNDIAM) pour : « atteinte à la sûreté de l’État, arrestation arbitraires, réquisition de la force publique pour s’opposer à l’exécution des lois et des dispositions légales ». Le procès se déroule entre le 7 et le 13 mai 1963. Les peines prononcées sont lourdes malgré le silence du procureur général (le magistrat Ousmane CAMARA) sur celles-ci et l’évocation par lui de circonstances atténuantes : la déportation perpétuelle est prononcée contre Mamadou DIA, la détention criminelle pour vingt ans contre Valdiodio NDIAYE, Joseph MBAYE et Ibrahima SAR. Une peine de cinq ans d’emprisonnement est prononcée contre Alioune TALL. La haute Cour a prononcé en outre, une interdiction des droits civiques pour dix ans à l’endroit du dernier cité.
Le 14 juin 2004, le Président de la République du Sénégal Maître Abdoulaye WADE a prescrit un ordre de mission pour vérification des investissements réalisés dans la ville de Thiès dans le cadre de l’organisation de la fête de l’indépendance 2004. Le rapport de l’Inspection Générale d’État concluait à un ensemble de faits d’une gravité non négligeable sur les deniers publics qui mettaient en cause en dehors du Premier ministre Idrissa SECK, plusieurs autres hauts responsables de l’État. L’Assemblée nationale a adopté, le 3 août 2005, une résolution de mise en accusation contre l’ancien Premier ministre Idrissa SECK et Monsieur Salif BA, Ministre en charge du Patrimoine bâti et de la Construction au moment de la réalisation des chantiers de Thiès. Les délits visés sont les suivants : le détournement de fonds dans les chantiers dans la ville de Thiès, corruption, faux et usage de faux, atteinte à la défense nationale et à la sûreté de l’État, etc.
Après le vote de la résolution de mise en accusation contre les sieurs SECK et BA, la procédure d’instruction commença auprès de la Commission d’instruction près la Haute Cour de justice. Mais, elle décida qu’il n’y a pas lieu de renvoyer les prévenus devant la Cour pour jugement. En effet, dans son arrêt, la Commission d’instruction « ordonne, au bénéfice des contestations sérieuses, la mise en liberté d’office de l’accusé Idrissa Seck, s’il n’est détenu pour autre cause ». En même temps, elle prononce le non-lieu partiel sur les faits d’usurpation de titre et de détournement de deniers publics relatifs à la gestion des fonds politiques ainsi que « la continuation de l’information sur les faits visés dans la résolution de mise en accusation » (arrêt n°4 du 7 février 2006 de la Commission d’instruction près la Haute Cour de justice).
Les deux affaires ainsi évoquées permettent à la Cour de ne point tomber dans l’oubli. Outre ces deux espèces très controversées, l’évocation de la Haute Cour de justice est liée au contexte politique. C’est le cas lorsque la responsabilité des gouvernants d’un ancien régime est en cause. En témoigne, la forte médiatisation de la désignation des députés, juges à la Haute Cour de justice sous les XIIe (25 avril 2014) et XVe (28 décembre 2024) législatures.

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